Pour ceux qui en doutaient encore, Ben Affleck est un réalisateur sur lequel il faudra compter dans les prochaines années. Après ses réussis Gone Baby Gone et The Town, le « jeune » réalisateur s’attaque cette fois à un sujet plutôt costaud, étant donné qu’il traite d’une histoire vraie tellement rocambolesque qu’il serait difficile d’y croire.

Le film Argo de Ben Affleck

Et pourtant, Affleck ne se démonte pas devant Argo et prend à bras le corps son sujet, commençant directement par la reconstruction de l’attaque de l’ambassade américaine de Téhéran du 4 novembre 1979 en ouverture de son troisième long métrage. Après le logo de la Warner des années 1970, la scène essaye un temps de perdre la fiction en recréant l’événement avec une incroyable minutie. D’une part, le cadre essaye de se calquer sur les photos chocs qui ont illustré cette attaque dans les médias. De l’autre, oscillant entre les différents formats d’image, Affleck la fait vivre à travers l’objectif de caméras 8mm perdues dans la foule, dont l’imparfaite granularité joue sur cet aspect si particulier des archives documentaires. Or tout ici n’est que fiction. Ce qui n’enlève rien au travail remarquable de la direction artistique pour avoir su reconstruire cet instant tragique dans l’histoire de la politique extérieure des États-Unis.

Mais qu’est-ce qu’Argo ? Argo est ce projet fou imaginé par cet agent de la CIA spécialisé dans l’exfiltration pour faire s’échapper d’Iran six membres de l’ambassade américaine qui ont réussi à s’enfuir à temps du bâtiment et se réfugier auprès de l’ambassadeur canadien. Les six américains se retrouvent alors piégés dans la résidence de ce dernier en plein Téhéran, ne pouvant pas mettre le nez dehors sans prendre le risque de se faire repérer par les milices islamistes de l’ayatollah Khomeini. Alors que les projets ridicules et très dangereux sont proposés par certains officiels, Tony Mendez, interprété dans le film par un très bon Ben Affleck, imagine ce projet d’un faux film de science-fiction dont l’équipe créatrice canadienne seraient les six diplomates à rapatrier. Ces derniers se seraient rendus sur place dans le cadre de repérages pour un tournage prochain en Iran. Pour ceux qui se seraient déjà familiers à cette histoire, on connaît déjà la fin. Néanmoins, Affleck réalisateur maintient constamment le spectateur dans un suspense à l’intensité variable. Plus le projet avance et plus il y a de risques qu’il capote, notamment lors d’une sortie du groupe dans un souk qui vire rapidement à l’émeute.

Le troisième long métrage de Ben Affleck montre également une nette évolution dans la maturité de sa réflexion. Argo est à plusieurs niveaux de lecture et ne se limite pas à raconter l’histoire dans l’Histoire. Se situant juste après le succès monstre de Star Wars, le film permet à Affleck de parler des dérives du système hollywoodien qui ne pense plus qu’en matière de profit. Une façon de d’effectuer le même travail d’analyse que Scorsese avait fait dans la dernière séquence de son Casino. C’est à la fin des années 1970 où le concept des blockbusters qui envahissent nos écrans aujourd’hui est formulé par le film de George Lucas et Les Dents de la mer de Spielberg sorti un peu plus tôt. Des longs métrages novateurs qui ont complètement bouleversé l’ordre des choses d’un Hollywood sur la pente descendante, à l’image des lettres du célèbre panneau du mont Lee sont en ruines, laissées à l’abandon à l’époque. C’est dans ce contexte de séries B spatiales à budget plus ou moins important que s’élaborera le projet d’Argo, plus proche de Flash Gordon qu’autre chose, mais justifiant un tournage dans le désert iranien.

Très inspirée par le cinéma de cette période, la mise en scène du long métrage est aussi marquée par l’intelligence d’un Ben Affleck qui ne cherche pas à révolutionner cet art. Affleck se présente comme un réalisateur humble face à ses pairs et ses ainés en s’inscrivant dans un classicisme formel. Loin d’être un critère péjoratif, son travail n’en est que plus efficace auprès du spectateur. Les montages alternés marchent à chaque fois, que ce soit lors de la lecture du scénario comparée à celle du discours officiel sur le statut des otages, comme dans les moments de haute tension. Dédoublant systématiquement les points de vue, les différents climax sont à chaque fois une accumulation de trucs de scénaristes pour faire monter le taux d’adrénaline chez le spectateur. C’est du déjà-vu, mais la mécanique fonctionne parfaitement. Avec le duo resté à Los Angeles formé par John Goodman et d’Alan Arkin, Argo dispose également d’instants comiques permettant de faire baisser la pression dans cette escalade permanente d’un suspense de plus en plus haletant.

Cependant, à trop rester dans les clous, Affleck se limite à un produit formaté pour le public américain, où la plupart des iraniens sont des brutes barbues armées de kalachnikov, criant et torturant d’innocents diplomates. Cela sans oublier le dernier plan sur la famille réunie sous le drapeau américain à l’arrière plan, bien qu’il réponde à l’image de cette bannière étoilée en flammes qui brûle en ouverture du film. Argo reste tout de même un très bon long métrage à suspense et un bel hommage aux vrais protagonistes de cette histoire, officiellement reconnus une fois le secret défense levé en 1997. À l’instar d’un Clint Eastwood à ses débuts, Ben Affleck confirme avec son troisième long métrage son efficacité en tant que metteur en scène classique qui se bonifie avec l’âge.

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