The Purge (retitré, en France, American Nightmare, pour une raison obscure) ouvre une nouvelle période dans le tournant horrifique du producteur Jason Blum. Alors qu’on pouvait voir dans ses productions depuis Insidious, une orientation visuelle claire reprenant les grands gestes picturaux de l’histoire de l’horreur filmique, The Purge se propose de laisser le visuel de côté pour permettre aux monstres de sortir de l’écran et de s’ancrer dans le réel. Il ne s’agit plus, donc, d’être dans la réflexion sur un genre, mais d’une étude du réel.
Le film American Nightmare
Si, à première vu, le concept de The Purge est de l’ordre du fantastique et de l’horreur, aux États-Unis la chose n’est pas si excentrique que ça. Il y a en effet un parallèle à faire entre l’idée de légaliser le meurtre une nuit par an et l’affaire Trayvon Martin. En Floride, la légitime défense est a comprendre au sens large, très large : un homme noir à capuche peut être vu comme une menace et le tuer être perçu comme totalement légitime, en tout cas : légal. Car dans The Purge il ne s’agit que de cela : la traque d’un SDF noir par des riches étudiants se désignant eux-mêmes comme des nantis. Le rempart à cette folie meurtrière est une prise de conscience par la classe moyenne, ici une petite famille modèle : un couple marié et leurs deux enfants. Un homme croyant au travail bien fait, comme base de sa réussite économique, lui permettant de construire et de protéger sa famille. Une femme qui s’occupe avec amour de ses deux jeunes enfants. Une adolescente, bonne élève dans une école privée qui compte fleurette. Un collégien futé qui, en parfait geek, trafique ses jouets pour en faire des robots.
Très vite on comprend que la purge dont il est question est l’extension ultra-violente de la pensée néolibérale : supprimer physiquement les « assistés », les « marginaux », les « junkies » et les inutiles. Le concept que l’on pensait propre, à premièrement vue aux USA, s’applique au final de façon plus globale aux sociétés néolibérales dans leurs ensembles et ceci quotidiennement. Les conséquences criminelles de l’action conjuguée du lobbying bancaire, de l’informatisation de la grande finance (High Frequency Trading) et l’utilisation faite des calculs par les traders sont aujourd’hui largement dénoncées. Ce qui ressort de The Purge est que l’horreur la plus monstrueuse ne se déroule pas sur l’écran, mais dans le monde réel. Ce n’est pas un hasard si les films produit par Jason Blum depuis quelques années se déroulent en quasi huit clos dans des maisons et que ses personnages sont soient au chômage, soit sur un siège éjectable. La crise des subprimes est passé par là.
Le cauchemar n’est pas seulement américain, il est mondial et ce film pose une question au spectateur, à qui veut-il ressembler : au père qui pour protéger sa famille ira (dans un même mouvement d’auto-défense que celui adopté par Dustin Hoffman dans Les Chiens de paille) jusqu’à tuer et torturer, obéissant ainsi aux nantis ? ou bien au fils ? Si il impose au foyer la violence du monde que sa famille tachait de rejeter en fermant les yeux, il démontre que l’altruisme est la seule position morale acceptable. En opposant à l’égoïsme du père, un modèle d’ingéniosité et de solidarité il pousse les protagonistes a faire un choix. En assumant une approche plus politique qu’esthétique, le producteur délaisse certes ces moments de pure mise en scène qui faisaient toute la poésie de ses précédents films (ces enfants fantômes, ou pris dans leurs rêves, courant dans les maisons des différents films : Insidious, Sinister, Dark Skies) mais il propose ici une chose rare dans le cinéma américain, un acte plus que subversif : la destruction de la famille américaine et de son modèle patriarcal.
Face au conservatisme de l’american way of life il appel à la solidarité et la lutte collective pour contrer la violence individualiste. The Purge n’est sans doute pas radical dans sa forme, mais il l’est tout du moins dans son propos. Le film s’inscrit bien dans une tradition subversive de la série B américaine soufflant sur l’envie de révolte du spectateur. Pas étonnant que James DeMonaco ai été co-producteur du remake d’Assaut on Precinct 13, tant le chef d’œuvre de John Carpenter (maitre de l’horreur fortement politisée) y est ici une référence. A l’heure où Hollywood dépolitise les séries B des années 80 en mettant en chantier les remakes fades de brûlots anars tels ceux de Joe Dante et de Paul Verhoeven, The Purge peut être perçu comme une bouffé d’oxygène.
Alors qu’en France la tradition veut qu’un film soit avant tout le fruit du travail d’un réalisateur, il ne faut pas oublier qu’aux Etats Unis le rôle du producteur est aussi important voire plus. Il en faut du travail et du talent pour livrer en une année autant de films solides que Dark Skies, The Bay, The Purge, The Conjuring et Insidious 2. Sans jamais être des chefs d’oeuvres, chacun d’eux prouvent que Jason Blum à sa place aux côtés de Roger Corman.